6 days ago
Carney convoque son Cabinet, Champagne défend le gouvernement
(Ottawa) Mark Carney convoquera son Cabinet mardi prochain face à la nouvelle menace de droits de douane de 35 % du président américain Donald Trump. Que fera le gouvernement ? Le bureau du premier ministre n'a pas voulu commenter une éventuelle riposte ou la possibilité d'appliquer la taxe sur les services numériques. Certains estiment qu'il est allé trop vite en l'abandonnant, d'autres que c'était la meilleure chose à faire.
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« Je suis de ceux qui pensent que le gouvernement n'aurait jamais dû retirer cette taxe-là, que c'est une erreur monumentale », affirme en entrevue Pierre Trudel, professeur émérite de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, spécialisé dans le droit du numérique.
« Plus ça va, plus ça paraît absolument absurde de dire qu'il y a une négociation. En fait, ce n'est pas une négociation. Vous avez quelqu'un qui change d'idée à tout bout de champ, impose toutes sortes de choses, invente des problèmes sur le fentanyl à la frontière », ajoute-t-il.
Le professeur à la retraite estime que le gouvernement canadien « perd son temps à essayer de négocier dans de telles conditions » et que l'abandon de la taxe sur les services numériques risque d'avoir « des effets à long terme extrêmement désastreux ». Le Canada risque ainsi « d'accroître encore plus sa dépendance face aux États-Unis ».
La législation pour créer cette taxe de 3 % sur les revenus des géants du Web – Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – et autres entreprises numériques a été annulée par le ministre des Finances, François-Philippe Champagne le 29 juin pour favoriser la reprise des négociations avec les États-Unis. La taxe sur les services numériques était dans le collimateur de Donald Trump.
Le directeur parlementaire du budget estimait qu'elle aurait généré des revenus de 7,2 milliards de dollars sur cinq ans.
« On enlève la taxe alors qu'on s'attend à un déficit et on a un ministre des Finances la semaine d'après qui dit à tout le monde de couper ? Et on répond au président américain en pliant en à peu près 24 h ? Est-ce qu'Emmanuel Macron aurait fait ça ? Est-ce que la présidente du Mexique aurait fait ça ? », demande le porte-parole en matière de Finances, Jean-Denis Garon.
« Le premier ministre Carney et le Canada ont cédé devant le président Trump et les États-Unis », s'était d'ailleurs targué la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, au lendemain de la décision du ministre Champagne. Celui-ci a défendu le choix du gouvernement vendredi dans une déclaration écrite.
« Le Canada mène des négociations commerciales complexes et de grande envergure avec les États-Unis. Notre approche à ces négociations a toujours été guidée par les intérêts des Canadiens. Cela nécessite de prendre des décisions difficiles quand cela s'avère nécessaire – y compris en ce qui concerne la taxe sur les services numériques – afin de créer les meilleures conditions pour un résultat positif. »
« Notre gouvernement a été clair : nous prendrons tout le temps nécessaire, mais pas plus, pour parvenir à un accord qui réponde aux intérêts des travailleurs et des entreprises du Canada », a-t-il ajouté.
Il a toutefois évité de répondre aux questions des médias sur le sujet en annulant une téléconférence prévue plus tôt dans la journée pour faire le point sur sa participation à la Conférence sur le redressement de l'Ukraine en Italie.
Dans les faits, le gouvernement n'applique pas pour l'instant la taxe sur les services numériques. L'introduction d'une mesure législative est nécessaire pour abroger la loi, ce que le ministre Champagne comptait faire à la reprise des travaux parlementaires à l'automne. Est-il allé trop vite en annonçant la fin de cette taxe ?
« Dans une négociation qui serait normale, on se poserait cette question-là, mais il n'y a rien de normal dans les négociations avec M. Trump », fait remarquer l'ex-premier ministre du Québec, Jean Charest, membre du Conseil du premier ministre sur les relations canado-américaines « Et je pense que l'approche de M. Carney est de s'attacher à une négociation qui paraît la plus prometteuse en matière de résultats et qui est maintenant repoussée au 1er août. »
Le Canada n'a pas abandonné la taxe sur les services numériques trop rapidement, selon le coprésident du Groupe d'experts sur les relations canado-américaines de l'Université Carleton et de l'Institut canadien des affaires mondiales, Fen Hampson.
« Nous ne serions pas en train de négocier en ce moment avec les États-Unis », souligne-t-il. Il a rappelé que Donald Trump avait carrément cessé les discussions avec le Canada à la fin du mois de juin. « Dans sa grande loi budgétaire, il y avait des taxes punitives qui auraient été imposées aux entreprises étrangères et aux investisseurs sur les marchés financiers américains et elles ont été enlevées de cette loi », a-t-il ajouté.
Il estime que les droits de douane de 35 % imposés sur les produits canadiens non conformes à l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis—Mexique (ACEUM) constituent une nouvelle tactique de négociation du président américain.
Le premier ministre Mark Carney a convoqué son Cabinet mardi pour discuter de ces négociations dont l'objectif est de conclure un accord commercial et de sécurité entre le Canada et les États-Unis. Le gouvernement canadien espère faire lever les droits de douane imposés par l'administration Trump.
M. Carney convoquera également une réunion des premiers ministres une semaine plus tard, soit le 22 juillet dans le cadre de la rencontre du Conseil de la fédération prévue à Huntsville, en Ontario.